Les multiples facettes de la pleine conscience

Le maître bouddhiste Thich Nhat Hahn est décédé. Son départ à 95 ans, bien qu’attendu, suscite de vives émotions. Bien qu’il soit dit que la mort d’un maître bouddhiste doit être une source de joie et d’accomplissement, retrouver son île intérieure sans un bon sextant est aléatoire. L’île intérieure fait référence à un enseignement du bouddha cité par Thich Nhat Hahn. Il fait référence au refuge intérieur qui ne dépend pas de quelqu’un ou quelque chose d’autre. De plus l’héritage de sagesse universel qu’il laisse est exploitable à l’infini. J’espère pour le meilleur.

Dans un tout autre registre, une lettre ouverte de la Ligue des droits de l’homme a été envoyée au ministère de l’éducation qui préconise l’arrêt les programmes de pleine conscience. L’argumentaire est que ces programmes peuvent avoir des conséquences sur l’esprit d’analyse des élèves et que l’on ignore les conséquences de la méditation.Une autre lettre a été écrite en réponse par des chercheurs dans le monde pour rappeler que la pleine conscience n’est pas ésotérique et ne s’est pas élaborée dans l’odeur des bâtons d’encens a été publiée dans le journal « le monde ».https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/02/01/la-meditation-de-pleine-conscience-est-tres-loin-des-images-esoteriques-et-des-odeurs-d-encens_6111790_3232.html

UN CONFLIT DE LOYAUTÉ?


En observant cela, je me demandais s’il n’y avait pas comme un conflit de loyauté entre des instructeurs de méditation ou de pleine conscience qui rendent hommage à un maître bouddhiste, et le rappel que la pleine conscience ne relève pas du fait religieux (qui par ailleurs est supposé être enseigné à l’école). Pourtant, il est facile d’apporter une distinction à ces deux plans. Les programmes en institution sont des programmes basés sur l’attention, les temps de familiarisation sont courts, que ce soient dans les écoles ou dans les organisations. Leur but est de permettre aux personnes, quelle que soit leur condition et leur âge, de se familiariser avec ce qui est la base de tout processus cognitif : l’attention.


DISTINGUER LES MÉTHODES BASÉES SUR L’ATTENTION

Le rapprochement entre les études sur l’attention et le bouddhisme est la conséquence d’une structure méthodique des enseignements bouddhiques d’un côté et les recherches menées sur l’attention de l’autre. Ce rapprochement a favorisé l’émergence d’un ensemble de programmes spécifiques autour de deux types de méthodes : pacifier le vagabondage mental en posant son attention sur le corps, les sensations, la respiration, etc, puis développer plus de discernement dans les décisions, faces aux émotions.
Comme les programmes de pleine conscience sont sans cesse critiqués et évalués, on peut identifier d’où vient chaque élément des programmes et pourquoi ils ont été adaptés.
Le manque de connaissance sur ce point des détracteurs de la méditation à l’école est patent. Le travail consciencieux de Bangor University en Angleterre est éclairant sur ce plan. https://www.bangor.ac.uk/mindfulness/publications.php.en


LES PRATIQUES DE PLEINE CONSCIENCE EN DEHORS DES INSTITUTIONS


Hors institution les méthodes basées sur l’attention se fondent dans une dynamique plus large et diffuse. Mais elles reposent malgré tout sur l’entrainement de l’attention.
Hors institution, hors programme MBSR, ou MBI, il peut arriver que ces programmes basés sur l’attention, communément appelés mindfulness ou pleine conscience, aboutissent à une dimension plus contemplative, plus spirituelle. Ou même que certains instructeurs rappellent l’origine de ces méthodes. On peut retrouver l’origine des méthodes utilisées, leur adaptation, pourquoi on fait comme cela ou comme ceci dans tel ou tel contexte.


DISTINGUER LES PROGRAMMES DE PLEINE CONSCIENCE D’UNE PRATIQUE GLOBALE ET PERSONNELLE

Il apparait que deux orientations se manifestent. L’une, basée sur l’attention, s’adapte volontiers au contexte clinique et sociétal. Une autre, orientation plus personnelle et individuelle, se rapproche plus d’une forme de spiritualité inspirée plus ou moins selon les personnes, par le bouddhisme. Je pense que la réaction urticante des associations vient du mélange de ces deux plans. Leur méconnaissance des études et les aprioris on fait le reste. Cette réaction est compréhensible finalement, bien que fondée sur une méprise.
En parcourant les réseaux sociaux, les associations signataires des attaques sur le déploiement de la pleine conscience assimilent le bouddhisme à une religion messianique à la recherche d’adeptes dont les méthodes de pleine conscience seraient la clé d’entrée.
Très attentif à exclure toute forme d’idéologie à part la leur, ils ne veulent pas que les élèves soient soumis à des influences. Ces associations et les syndicats prennent la laïcité comme un moyen d’exclusion idéologique sans voir que l’entrainement à l’attention est le coeur du discernement.
Il est sans doute plus facile de s’en prendre à la pleine conscience qu’à des dérives communautaires plus organisées. Cela dit, si ce n’était le goût pour le débat et les querelles d’opinions, le point de vue des uns et des autres pourrait être intéressant à prendre en compte. Il est important de rappeler que l’entrainement à l’attention est pratiqué en occident depuis la plus haute antiquité.


LA PLEINE CONSCIENCE QUITTE L’ÉCOLE


Finalement, le ministère a tranché en faveur de la peur:https://www.lefigaro.fr/actualite-france/meditation-de-pleine-conscience-blanquer-dit-non-20220204

A l’heure ou le déclassement de l’éducation national française est patent dans tous les indicateurs internationaux, c’est une erreur de rejeter des méthodes simples qui nourrissent l’attention des plus jeunes. Un appel à plus d’encadrement et d’observation aurait suivi. La demande d’arrêter les expériences relève bien d’un positionnement idéologique plus que rationnel.
Pierre Hadot a montré à quel point l’entrainement de l’attention était constitutif de l’apprentissage de la philosophie dans l’antiquité occidentale.
https://books.google.fr/books/about/Le_présent_seul_est_notre_bonheur.html?id=Gzg6twAACAAJ&redir_esc=y
L’auteur Eric Vinson évoque la pleine conscience un des antidotes à un un mode de vie consumériste, focalisé sur soi. Peut-être est la prémisse d’une philosophie de vie. Plus dans les écoles en tout cas!


REPRENDRE DU RECUL


Pour quitter la polémique et revenir au maître bouddhiste Thich Nhat Hahn, ce dernier ne s’adressait pas qu’aux bouddhistes. Beaucoup de personnes se sentaient proches de son enseignement vu comme simple et universel. L’attention est un bien commun et apprendre à se familiariser avec l’attention est bon pour la santé, pour l’humanité et pour la nature. L’attention n’est pas « bouddhiste ».
La pleine conscience ne va révolutionner le monde, elle n’est pas la réponse à tous les maux, les personnes qui la prônent ne sont pas infaillibles. Toutefois, sans entraînement sur l’attention, il est difficile d’aborder les profondes transformations qui attendent l’humanité. Les enclaves idéologiques, les peurs, les habitudes sont pour tout le monde tellement prégnantes, qu’il est difficile de trouver de la liberté de décider.

Laisser un Commentaire

*
*

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

contact@euthymia.fr 06 28 25 43 08