Les organisations, et en particulier celles qui traversent des transformations profondes font parfois appel aux pratiques de pleine conscience. Des dirigeants m’ont plusieurs fois rapporté que les pratiques portant en particulier sur la compassion leur avait été fort utiles. Comme j’ai moi-même découvert la méditation via ces pratiques, j’ai été surpris de voir qu’elles pouvaient se développer dans une organisation, hors d’un champ traditionnel de la méditation. Surpris de voir quels bienfaits pouvaient venir de telles pratiques. Toutefois, il m’est arrivé également d’observer qu’un « management bienveillant » pouvait avoir les effets exactement inverse de ce qu’il prétendait développer. Comment peut il arriver que ce développe l’exact opposé de ce qu’on met en avant, même sans le vouloir? Comment dans d’autres cas la pleine conscience basée sur les pratiques de bienveillance a-t-elle autant d’impact sur les personnes et les équipes?
Définir la compassion dans le cadre d’une organisation
La compassion a trois étapes dans notre contexte.
- C’est d’abord un mouvement de l’attention porté sur ce qui souffre, ce qui est en déséquilibre, qui appel (comme une douleur, un cri).
- C’est ensuite la qualité de présence que l’on donne à cela.
- Enfin, c’est l’intelligence qu’on développe pour répondre le plus habilement à ce besoin, cette blessure, ce déséquilibre. L’intelligences à laquelle on fait référence, c’est la capacité à percevoir tout ce qu’on possède pour aider, mais également la capacité de prendre du recul et de percevoir ce déséquilibre dans un espace, un temps et de manière moins identifiée à son rôle « d’aidant », d’accompagnant, ou de leader.
Quel est l’intérêt de la compassion dans les organisations ? Se poser la question, peut, selon le point de vue, être préoccupant – les organisations se sont-elles déshumanisées au point de poser la compassion comme un sujet à intégrer ? – ou au contraire encourageant : les entreprises perçoivent l’humanité et les enjeux de notre époque comme un élément de leur développement.

Les organisations en transformation premières concernées
Dans les organisations en transformation, un management que se focalise sur une hiérarchie forte et une mise en compétition des individus est voué à l’échec. Bien que ce type de comportement soit depuis longtemps questionné, par une forme de dogmatisme et d’atavisme, les habitudes perdurent. Pour les organisations plus chanceuses, des modes d’organisation plus responsabilisant et plus transversaux mettent l’accent sur les personnes, sur leurs capacités à travailler ensemble et à coopérer. Savoir faire les choses et savoir comment les faire ont été deux étapes importantes du management.
Dans une structure complexe qui vient sans cesse remettre en cause l’expertise, les évidences et les idées reçues, coopérer et s’entraider devient une nécessité. Dans ce sens, les méthodes basées sur l’attention sont une étape importante pour avoir accès plus facilement à nos modes de relation.
Armelle, chef d’entreprise
Commencer par une attention à soi
L’attention est la première action bienveillante à mettre en place.
Savoir se recentrer et focaliser notre mental calme la recherche de satisfaction immédiate et le sentiment d’insécurité qui nous animent souvent dans des organisations de plus en plus agitées. Parfois, nous n’en sommes pas conscients tant nous sommes focalisés sur nos objectifs, nos missions, déterminés à mettre en place tel ou tel projet et à rassembler les personnes et les moyens pour cela.
Pourtant le mental, dans ce joyeux chaos, devient déterminé par deux priorités : la recherche de satisfaction et la peur de l’insatisfaction. Cela imprègne une grande partie de nos comportements, en renforçant notamment un sentiment d’insécurité latent. Calmer ce sentiment d’insécurité est un acte de bienveillance pour soi, qui est aussi bénéfique à nos proches et à l’organisation de manière plus vaste.
Accéder à une meilleure qualité de vie: se redonner des choix
Cultiver l’attention facilite aussi une forme de flexibilité qui nous aide à mieux prendre soin de soi et à changer potentiellement nos habitudes de vie : prendre le temps d’avoir un vrai repas, développer des actions propices à notre santé physique et mental. Ce n’est pas magique, ce n’est pas tout le monde, mais on sait aujourd’hui que la pratique de la pleine conscience peut aider à acquérir des comportements plus favorables à notre équilibre, plus en lien avec nos choix. « Encore un syndrome caché de la dictature du bien-être » diront certains, avoir plus de liberté sur ces habitudes de vie serait suffisant.
L’ouverture du coeur
Du monde des bisounours à celui de la recherche scientifique
La deuxième pratique bienveillante concerne l’ouverture du cœur, souvent prise pour un danger ou un comportement naïf. Le neurobiologiste Antonio Damazio a contribué à montrer à quel point les émotions sont omniprésentes dans nos décisions et nos perceptions. Par un système complexe, ces émotions sont à la fois le jeu des hormones et autres réactions subtiles du corps, des perceptions et du cerveau.
Prendre en compte les émotions dans une organisation n’est pas évident, notamment dans une société dite « cartésienne » qui laisse une grande place à une forme de rationalisme, au détriment de l’être émotionnel que nous sommes.
Le travail de Brené Brown montre à quel point être en lien avec ses vulnérabilités est essentiel pour être en lien avec les autres, créatif et joyeux, pour être entreprenant au meilleur sens du terme. Reconnaître ses émotions et savoir les accueillir éveil les perceptions et sont autant d’organes qui se créent dans notre environnement pour percevoir le monde.
Ces phrases semblent incantatoires et raisonnent comme un plaidoyer. Ayant passé de nombreuses à ne rien faire d’autre que de la méditation, je n’aurai pas misé cher sur les pratiques de compassion en entreprise, tant je pensais qu’elles n’y avaient pas leur place. J’ai commencé à les enseigner à la demande de personnes qui elles-mêmes, dans un autre contexte de pratique y avaient trouvé un grand intérêt. Une forme de révolution intérieure. Je suis bien conscient qu’écrire comme cela comporte des risques. Ces mots peuvent sembler tellement simplistes faces aux problèmes d’une organisation. D’autres part, n’importe quel communiquant habile les a déjà exprimé. Enfin, n’importe quel esprit manipulateur peut les faire sienne.
Mais après ces huit dernières années, j’ai pu voir également que ces expériences de bienveillance ont permis à des personnes de traverser des difficultés importantes dans leur travail et de garder une confiance dans l’être humain. Le fait est que fermer son cœur à un cout sur la santé et un cout humain important dans les équipes et que tout n’est pas seulement affaire de technique.
La méditation de pleine conscience se heurte à nos défenses et à nos murs intérieurs pour nous rendre plus réceptif et paradoxalement moins fragile. Dans les arts martiaux, faire l’expérience intime de sa fragilité et de ses limites est une étape importante pour sortir de l’illusion de puissance. Dans les organisations, la complexité génère du stress et nous met en tension, nous ne pouvons pas nous permettre de prendre du temps, d’être faible quand il faut agir. Toutefois ce type de comportement nous coupe de notre être émotionnel sans pour autant nous couper de nos réactions émotionnelles.
Utiliser les pierres de nos murs intérieurs pour créer des ponts
La pratique de la compassion tend à passer un pacte avec nos défenses émotionnelles, en utilisant les pierres de nos murs intérieurs pour créer des ponts vers les autres. Les pratiques sont assez exigeantes, mais elles ont pour but d’utiliser les réactions émotionnelles de base – apathie, envie et attaque et– dans une visée plus altruiste. En méditant sur la compassion, nous donnons la possibilité à l’apathie de se transformer en présence attentive à l’environnement, à l’envie de se transformer en coopération et à l’agressivité de se transformer en discernement. Ce processus avance lentement et n’est pas miraculeux, mais il agit sur les comportements de manière très concrète et évidente :
- L’indifférence génère une méconnaissance de l’effet de notre attitude sur les autres. Elle nous conduit aussi à percevoir un seul angle : le notre ! Et toujours de la même manière : comme on croit ! Les méditations sur la compassion prennent le contre-pied de cette tendance. La compassion transforme cette indifférence en une sorte d’éveil, d’intèrêt, un sens de la surprise.
« On perçoit des opportunités là avant tout était uniforme dans ma façon de voir les choses. » Éveiller l’attention renforce notre charisme, comme l’ont montré les travaux de Langer : on est plus intéressé par les autres, les autres le ressente tout naturellement.
Vincent, manager chez Orange France
- L’agressivité limite les feedback : on agit à partir de la peur, consciemment ou non, et on dissuade ainsi les autres de nous dire ce qui dysfonctionne dans l’organisation. La méditation sur la compassion permet au contraire de développer de la clarté et du recul. L’espace engendré par ces pratiques invite nos collaborateurs à partager les erreurs, à donner des feedback, ce qui permet de progresser dans l’apprentissage. La confiance peut s’établir dans les relations. L’agressivité laisse la place à l’espace : on peut entendre, obsever.
- L’envie ramène l’attention à soi : Il y a une soif liée à l’envie de réussir, d’être, de bien faire. Cette soif peut être un moteur puissant, mais dans les organisations complexe elle tend à nous figer sur nous-même. Le désir est le substrat d’une société libérale à l’ancienne. Devenir plus généreux dans son écoute et moins focalisé sur ses objectifs donne plus d’espace aux situations et aux autres. En lachant un tant soi peu l’importance de soi, il est plus facile de laisser émerger des comportements altruistes tout simples qui vont générer de la confiance et de la coopération. On ne perd pas l’envie d’agir, mais elle est moins centrée sur soi.
Améliorer la qualité des informations qui circulent dans une équipe et percevoir les opportunités
Au final, ces méthodes ne sont pas incantatoires. Elles ont un effet sur les équipes quand elles sont bien conduites parce qu’elles donnent de la confiance et de la fluidité dans les informations. Ce qui est essentiel dans les organisations en transformation, en particulier.
D’après Otto Scharmer, le fondateur de la théorie U, une organisation apprenante devrait veiller à ce que les personnes cultivent quatre comportements et génèrent des systèmes apprenant :
- Moins focalisé sur soi, on est plus conscient de l’image et de la manière dont nous sommes réellement vécus par les autres.
- Plus en lien avec les autres, on exprime plus facilement ce que l’on veut faire
- Il devient alors plus facile de rendre possible ce que l’on dit de faire.
- et de co-élaborer une vision.
Les pratiques de compassion dans les organisations encouragent ce type de comportements.
Dans les organisations en transformation, le leadership s’établit en grande partie sur la qualité de l’information récoltée et de sa redistribution. Les seuls process ne suffisent pas parce que malgré nos efforts, nous ne sommes pas des machines. D’après certains chercheurs, ce qui a permis l’émergence de la communication est notre besoin de coopérer. Ce besoin était autrefois mis en tension pour satisfaire des besoins primaires : survivre jusqu’au lendemain, jusqu’à la prochaine saison.
Agir en changeant d’espace et de temps
En nous mettant au défi de nous adapter toujours plus et toujours plus vite, nous nous mettons mettent dans cette situation de survie chronique. Cela renforce en nous une volonté de satisfaction immédiate, de résultats concrets. D’autre part, la société moderne basée sur le désir nous offre de satisfaire des désirs le plus vite possible et les plus nombreux possibles.
Le mental, soumis à cette tension d’avoir un résultat conforme à ces désirs et des désirs de plus en plus nombreux s’épuise dans ses sollicitations. L’altruisme devient une gymnastique de rééducation face à ces situations.
La pratique méditative de la compassion a pour but de développer l’intelligence du cœur en nous mettant au-delà de cette immédiateté.
Pouvoir passer dans un temps long et stimuler une vision plus vaste.
Les personnes qui sont dans le soin et qui pratiquent ces méditations comprennent facilement ce point, souvent plus vite que ceux qui, comme moi, ont une approche plus contemplative de la compassion.
Dans les organisations, les dirigeants connaissent souvent de tels stress et frôlent tellement souvent l’épuisement qu’ils connaissent la nécessité de se projeter sur un temps long, bien qu’ils n’aient pas toujours l’espace qualitatif de le faire. Ils connaissent l’importance de prendre du recul, mais cela se fait souvent en ce coupant des autres.
Au départ, je ne pensais pas que c’était le lieu propice pour ça : trop de promesses dans le mot, trop de peurs. Le mot méditation est dur à faire passer, alors la compassion… Mais les temps changent.
Les méditations sur la compassion s’accompagnent de méthodes de partage et de communication qui facilitent la transition entre un temps court et un temps long. Dès lors, les CODEV ou Cercles de présence sont des places où se règlent le conflit et ou les erreurs se transmutent en potentiels. Car dans les organisations en transformation, il y a des erreurs, il y a des conflits, comment en irait-il autrement ?

Les personnes sont également soucieuses de garder du sens dans leurs actions et d’être partie prenante dans cette élaboration. Coopérer, situer son organisation dans la société est un élément important. L’hôpital, organisation basée par essence sur la compassion, connait une crise terrible en s’étant éloigné de sa raison d’être.
La compassion au de là de l’organisation: percevoir l’interdépendance de soi et des autres
Dans ce sens, un très beau projet a vu le jours depuis quelques années : Mindfulness Solidaire. Il s’agit de faire méditer les personnes en rupture sociale ou dans l’univers carcéral. Mais les méthodes de pleine conscience utilisées dans cette association pour aider dans le milieu carcéral s’adaptent facilement au milieu de l’entreprise : Elles sont simples et facilement personnalisables par les pratiquants.
D’ailleurs Mindfulness solidaire est intervenue à plusieurs reprise avec un programme adapté aux grandes entreprises. La conséquence surprenante est que des cadres d’un grand groupe, après avoir été formés à la pleine conscience dans l’entreprise, se sont ensuite investis eux-mêmes auprès de personnes en prison. Le lien social, aussi fondamental que le lien à soi et à l’environnement, s’établit et se restaure à partir de méthodes telles que la méditation de la compassion. Ce n’est sans doute pas suffisant, mais aucun changement véritable ne peut s’opérer sans une transformation intérieure conséquente.
Quelques ressources
- Daniel Goleman – Leadership and Compassion – Empathy and Compassion in Society 2013
- Brené Brown: le pouvoir de la vulnérabilité
- Mathieu Ricard: Plaidoyer pour l’atltruisme, 2013, Nil.
- Betsy Parayil-Pezard: Méditer c’est se rebeller, 2018, Marabout
- The Center for Compassion and Altruisme and Education (Stanford)
- The Surprising Benefit of Compassion Meditation, USnews
- Collectif: Effects of mindful-attention and compassion meditation training on amygdala response to emotional stimuli in an ordinary, non-meditative state, 2012
- Compassion – Bridging Practice and Science, 2013